ARLEQUIN
A LA
GUINGUETTE.
REPRESENTE'
A LA FOIRE S. LAURENT.
par la Troupe de BEL-AIR.
Le prix est de 8 sols.
A PARIS,
Chez M. Rebuffe , ruë Dauphine,
proche le Pont-neuf , à l'Arche
de Noé & au Jurisconsulte.
M. DCC. XI.
Avec Permission
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AVIS AU LECTEUR.
La Troupe de Bel Air ayant eü le
mal-heur à la derniere Foire S. Germain,
d'ouvrir son Théatre par un divertissement
qui ne fut pas goûté du
public, ne pût dans la suite se relever
tout-à-fait de sa chute. Quelques efforts
qu'elle fit pour rappeller les spectateurs,
les premieres impressions prévalurent.
Comme le mal ne pouvoit provenir que
de la piece ou de l'execution, & peut
estre de tous les deux ; elle s'est attachée
à cette Foire S. Laurent, à se remettre
en grace auprès du public, par un meilleur
choix d'auteurs et d'acteurs. On
jugera des premiers par leurs ouvrages,
& les derniers se sont déja bien fait connoistre.
Il suffit de nommer les Sieurs
BAXTER & SAURIN, pour faire leur
éloge. La vogue qu'ils ont eûs l'hyver
passé dans le Preau, donne tout lieu
d'esperer qu'ils ne seront pas moins courus
cet esté, & tout le monde conviendra
que la Troupe de Bel Air ne pou-
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voit faire une meilleure acquisition pour
se remettre en possession de la préférence
que le public luy avoit toujours donné
sur les autres Troupes.
On a fait imprimé le divertissement par ou
elle doit débuter, pour en donner une
plus grande intelligence à ceux qui le
verront executer. Il a pour titre Arlequin
à la Guinguette ; on n'y a rien oublié
de ce qui peut contribuer à atteindre
le principal but de la Comedie, qui
est de châtier les moeurs en riant ; Le
spectacle sera des plus surprenans, &
les couplets seront assaisonnés de ce sel
qui en doit faire tout le prix.
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ARLEQUIN
A LA
GUINGUETTE.
PREMIERE ENTRE'E
QUI SERT DE PROLOGUE.
Le Theatre represente la Ville de Paris.
Jupiter & Momus descendent des Cieux ;
le premier monté sur un cocq-d'inde,
tient un foudre à la main, & l'autre
monté sur un dogue, est armé d'une
plume. Momus plaisante sur le cocq-d'inde
que Jupiter a pris au lieu d'un
aigle ; le couplet est sur l'air Des Pellerins
de S. Jacques.
MOMUS.
Quoyque le sort sous vôtre Empire,
Nous ait tous mis,
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Je suis le Dieu de la Satyre
Tout m'est permis,
Cherchez-vous dans ce beau séjour
Quelque avanture ?
Dites-moy d'où vient qu'en ce jour
Vous changés de monture.
JUPITER.
Les habitants de cette Ville
Se sont connus,
Je viens y décharger ma bile
Sur leurs abus,
Ils n'auront pas de moy grand soin
Si je les daube ;
Mais je mettray dans un besoin
Ma monture à la daube.
Momus fait connoître à Jupiter par
les gestes qu'il le soubçonne de quelque
nouvelle intrigue, Jupiter luy montre ses
cheveux gris, pour luy faire voir qu'il
est revenu de la bagatelle. L'écriteau suit.
JUPITER.
Ma jeunesse a fait son cours
Je suis devenu sage :
Dans le temps de mes amours
Junon me chantoit toûjours
La rage, La rage, La rage.
Jupiter fait entendre à Momus qu'il
n'a point de dessein de galanterie en
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teste, puisqu'il l'a choisi pour compagnon
de ses voyages, au lieu de Mercure,
le cher confident de ses amours ;
L'écriteau suit.
JUPITER.
De compagnon si tu me sers
C'est pour régler tout l'univers.
Au lieu du fidelle Mercure,
C'est pour cela que je t'ay pris ;
Je veux que ta plume censure
Tous les desordres de Paris.
MOMUS.
Laisses-moy censurer les Dieux
Mon dos s'en trouvera bien mieux :
Aux mortels si je faits la guerre,
Je pourrois bien grand Jupiter,
Pour avoir écrit sur la terre
Aller écrire sur la mer.
Momus ne veut point d'un employ aussi
dangereux que celuy de censeur. Jupiter
le veut forcer à le prendre & le menace
de son foudre, Momus le menace de sa
plume ; ils conviennent de combattre
à armes égales, & quittant l'un sa foudre
& l'autre sa plume, ils se battent à
coups de poing ; le bruit qu'ils font
oblige Arlequin à sortir de chés luy
pour voir ce que c'est. Il se met en de-
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voir de les separer & et les rosse tous deux.
Momus se sentant frapé quitte Jupiter
pour se jetter sur Arlequin, mais l'ayant
reconnu il l'embrasse & le presente
à Jupiter comme le mortel le plus propre
à remplir l'employ de censeur. Jupiter
consent à l'en charger, mais Arlequin
qui en prevoit les suites le refuse
aussi bien que Momus. L'écriteau paroit.
JUPITER.
Il faut que Momus t'inspire
Quelques bons traits de Satyre ;
Si tu sçait l'art de médire,
Tout va flechir sous tes loix :
Tu te rendras redoutable,
Chacun t'offrira sa table.
Le traitant pour toy traitable
Te mettra dans les employs.
ARLEQUIN.
J'aime assez qu'on me redoute
Mais voicy qui m'en dégoute :
Je sçait trop ce qu'il en coûte
D'écrire avec trop de fiel :
Quand Momus vous fait la guerre
Il ne craint point le tonnerre,
Et l'on risque sur la terre
Beaucoup plus que dans le Ciel.
Arlequin remercie Jupiter de son em-
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ploy & s'enfuit ; Jupiter lance la foudre
sur la maison d'Arlequin, qui revient
tout effrayé se jetter aux pieds de
Jupiter ; il consent à accepter l'employ
qu'il veut luy donner, à condition
qu'il luy prêtera son foudre & Momus
sa plume. L'écriteau paroist.
ARLEQUIN.
Momus pour mieux armer ma main,
Prestés-moy vostre plume,
Et vous, la foudre que Vulcain
Forge sur son enclume :
Les Romains dés que j'écriray
Se mettront en campagne,
Et je les pulveriseray
Comme Tabac d'Espagne.
JUPITER.
Tiens, prends au gré de ton desir
Sa plume & mon tonnerre,
Si tu me veux faire plaisir,
Mets ces Romains parterre :
J'aprouveray leur chastiment,
Quelque grand qu'il puisse estre ;
C'est dans leurs farces seulement
Que l'on me voit paroistre.
Arlequin n'est pas plutost armé de la
foudre de Jupiter & de la plume de
Momus, qu'il se rend redoutable à ces
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deux Dieux. Il veut foudroyer Jupiter,
& ne sachant comment lancer la foudre,
il tire un fusil de sa poche, &
ayant allumé de la méche il met le feu
à la foudre, qui crevant entre ses mains
le renverse d'un costé & Jupiter de
l'autre ; Momus les fait revenir tous
deux avec de l'Eau de la Reine d'Hongrie.
Jupiter ne peut revoir Arlequin,
sans frayeur & s'enfuit ; ce qui donne
lieu à un écriteau sur l'air, que diable
voulez-vous qu'on fasse.
ARLEQUIN.
De tout cecy je crains la suite ;
Ah ! Si les Dieux prennent la fuite,
Les hommes en feront autant :
Ils nous fuiront loin de nous suivre,
Nous n'auront point d'argent comptant,
Et sans argent on ne peut vivre.
MOMUS.
Je veux pour t'attirer du monde,
Qu'une Fée icy te seconde,
Chés toy l'argent foisonnera ;
Son art te va combler de gloire
Et je pretends que l'opera
Soit jaloux des jeux de la Foire.
La Fée vient dans une Guinguette,
traînée par un ogre & par une ogresse ;
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Arlequin à peur de ces deux monstres :
mais la Fée le rassure, & d'un coup de
la baguette elle fait changer le Theatre.
On y voit trois figures, qui sont une
Harpe, un Cerf & une Tourterelle, à
mesure que la Fée donne un coup de sa
baguette sur chacune de ces figures, elles
reprennent leur premiere forme, la harpe
redevient un agioteur, avec cet écriteau
sur l'air, Vous m'entendez bien.
L'AGIOTEUR.
Je fus un riche agioteur
C'est-à-dire un fameux voleur,
La harpe fait la glose
Hé bien,
De ma métamorphose
Vous m'entendez bien.
Le cerf est changé en vieillard, avec
cet écriteau sur l'air, Dans son chateau
du gaillardin.
LE VIELLARD.
Je m'avisay d'estre en ménage
Dans mes vieux jours,
Ma femme à tont le voisinage
Avoit recours,
Mais une Fée avec son art
Fit un vieux cerf d'un vieux cornard
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La tourterelle reprend la forme de
femme fidelle, avec cet écriteau, sur
l'air, Nous sommes demy douzaine.
LA FEMME FIDELLE.
Dés que la parque cruelle
M'eut fait sentir son cizeau,
Je devins tourterelle,
Pour vivre de nouveau :
A mon époux j'avois esté fidelle,
Est-il rien de si beau,
Mais par mal-heur sans laisser de modelle
J'entray dans le tombeau.
Momus dit à Arlequin qu'il le met
sous la protection de la Fée, qu'il doit
tout attendre de son secours, mais qu'il
doit songer dans sa Satyre à ménager le
public, de peur de le chasser de chez luy
& de perdre ses meilleures pratiques.
L'écriteau est sur un Vaudeville.
MOMUS.
Tu peux compter sur sa science,
Mais ne faits rien qu'avec prudence,
Les gens que tu vas corriger,
Ne sont que trop à ménager ;
En te privant de leur presence,
Ils seroient seurs de se vanger.
ARLEQUIN, au Parterre.
Vous entendez le preambule,
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Momus vous dore la pillule,
Le trait est moins désobligeant,
De faire rire en corrigeant.
Vous verrés vostre ridicule,
Mais vous rirez pour vostre argent.
Le Prologue finit par un divertissement
que fait la suite de Momus, elle est composée
de divers personnages comiques.
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DEUXIE'ME ENTRE'E.
Arlequin vient faire ses adieux à Colombine
par ordre de la Fée. Ils viennent
tous deux avec un mouchoir à la main
pour essuyer leurs larmes. L'écriteau est
sur la Sarabande de l'Inconnu.
ARLEQUIN
Charmant objet de ma pudique flame
Je vais partir, recevez mes adieux,
Ma chere femme
Cedons aux Dieux,
Leurs dures loix m'arrachent de ces lieux
Un grand dessein appelle ma grande ame.
COLOMBINE
Qu'ay-je entendu ? que j'éprouve d'alarmes,
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Quoy ! vous partez ! Arlequin, vous partez !
Brillez mes charmes,
Et l'arrestez ;
Mais tous mes cris ne sont plus écoutez ;
Pleurez mes yeux, & fondez vous en larmes.
Le grand serieux de ces couplets est
affecté, le dernier est une parodie de la
plainte d'Armide sur le départ de Renaud
& Arlequin doit se retirer avant la fin
du couplet. Voicy ce que dit Colombine,
pour continuer d'imiter ces paroles d'Armide,
l'espoir de la vengeance est le seul
qui me reste.
L'écriteau est sur l'air, Vous qui vous
mocquez par vos ris.
COLOMBINE.
Il part, & c'est pour m'outrager
Je vois sa manigance,
Ne songeons plus qu'à nous venger
De ce trait d'inconstance ;
Et dois-je attendre pour changer
Que mon mary commence ?
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Croit-il que pour luy seulement
Un tendre amour m'enflame ?
Je me sens pour faire un amant
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Je ne sçay quoy dans l'ame :
Si je n'aimois le changement
Je ne serois pas femme.
Colombine rentre dans le dessein de
se venger de la pretenduë infidelité d'Arlequin.
A peine est-elle rentrée qu'Arlequin
sort & témoigne le regret qu'il a
de quitter une femma si tendre & si fidelle,
dans le temps qu'il pleure, un
Lutin tombe à ses pieds portant un paquet
de hardes sous ses bras ; il rit des
larmes d'Arlequin, & luy montre un
écriteau sur l'air : Or écoutez petits, etc.
LE LUTIN.
S'il faut l'en croire sur sa foy
Colombine se meurt pour toy,
Mais parmy-vous est-il de femme
Qui montre ce qu'elle à dans l'ame,
Telle pleure avec son mary,
Qui rit avec son favory.
Le Lutin apres avoir chanté ce couplet,
donne un habit de Cabaretier à Arlequin,
& luy fait entendre par un autre
couplet, que la Fée luy ordonne d'aller
exercer son employ de Censeur dans une
Guinguette. L'écriteau est sur l'air,
Du Branle du Moulin de Javelle.
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Je t'aporte ta toilette
La Fée ainsi l'a commandé,
Si tu ne veux estre grondé,
Faits ton devoir à la Guinguette
Je t'aporte ta toilette
La Fée ainsi l'a commandé.
Tandis que le Lutin habille Arlequin
en Cabaretier, le Theatre change & represente
une Guinguette, avec cette enseigne :
BON VIN ET GRANDE
MESURE A JUSTE PRIX. Le
Lutin ayant habillé Arlequin s'envole
dans les airs. Arlequin examine sa Guinguette
& paroît charmé de la voir si bien
garnie. Il commence par goûter le vin ;
dans le temps qu'il boit, un petit maitre
vient luy demander du vin, des pipes &
du tabac, & luy fait connoitre par toutes
ses minauderies qu'il est tres-satisfait de
sa figure. Il tire de sa poche plusieurs
Tabatieres où sont les Portraits de ses
Maitresses. Arlequin luy demande comment
il peut suffire à tant de belles ; le
petit Maitre luy vante ses talents par un
écriteau sur l'air, quand le peril etc.
LE PETIT MAITRE.
Je faits l'amour la nuit entiere,
J'ay des Maitresses à foison,
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Je cours & change de maison,
Comme un chat de goutiere.
Le petit Maitre se met à une table
sans nape. Dans le temps qu'il hache du
tabac un solliciteur de procez vient avec
sa Maitresse & demande du vin à Arlequin.
Le petit Maitre l'orgne la Demoiselle
& luy fait des mines, elle rispote
sur le mesme ton. Le solliciteur de
procez s'en met en colere & témoigne
sa jalousie par un écriteau sur un Vaudeville.
LE SOLLICITEUR de procez.
Il faut que je me débonde,
J'ay trop lieu d'être jaloux,
Est-ce ainsi qu'on me seconde ?
J'ay cent fois quité pour vous,
Et brune & blonde,
Et vous faites les yeux doux
A tout le monde.
LA COQUETTE.
Est-ce un mal pour la poulette
De compter sur plus d'un cocq ?
C'est un brin de ciboullette
Que la liberté du troc,
En amourette,
Ma foy cela vous est hoc
Je suis Coquette.
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La Maitresse du solliciteur de procez
court embrasser le petit Maitre. Le solliciteur
de proces la veut battre. Le petit
Maitre met l'épée à la main & le solliciteur
de procez se met à genoux. La
coquette s'en va avec son nouvel amant,
qui se retire d'un autre côté, en frapant
des pieds. Arlequin se moque de luy par
ce trait de Satyre sur un Vaudeville.
ARLEQUIN
Les gens à procedures
Par fois sont amoureux,
Mais dans leurs avantures
Ils ne sont pas heureux,
Avec nos petits Maitres
S'ils osent s'oublier,
Ils sautent les fenêtres
Plutost que l'escalier.
Il vient une Nopce de Village à la
Guinguette d'Arlequin, ce qui fait le divertissement
de cette seconde Entrée.
Apres quelques danses on fait un branle
sur l'air, Robin turlure, etc.
BRANLE
Aux Guinguettes de Paris
Que de filles on voiture !
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On y vend à juste prix
Turelure,
Bon vin & grande mesure
Robin turelure.
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Jusque aux gens à cheveux gris
Chacun y trouve avanture,
Sur la teste des maris
Turelure,
On y met mainte coëffure
Robin ture lure lure.
Pendant toute cette fête, les uns boivent,
les autres dansent & ils se retirent
tous se tenans par la main. Un Capitan
avec sa Maitresse vient à la Guinguette
& frape à la porte. Arlequin sort &
le Capitan luy demande une Chambre
pour luy & sa femme pretenduë. L'écriteau
est sur l'air, La verte jeunesse.
LE CAPITAN.
Mets-nous je te prie
Dans un lieu secret,
Point de tricherie
N'entre dans mon fait,
Sans crime je l'aime
Et j'en suis chery,
Laisse nous à mesme
Je suis son mary.
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ARLEQUIN
O le bon Apostre !
Ardez, quel époux !
Va chercher quelqu'autre
Pour tes rendez-vous ;
Par ce beau langage
Tu n'as pris qu'un rat,
C'est un mariage
Qu'on fait sans contract.
Toute cette Scene se passe en lasis à peu
pres semblables à ceux d'Arlequin soldat
& bagage : on ne les décrit pas icy pour
laisser le plaisir de la surprise à ceux qui
les verront. Le Capitan ne pouvant par
toutes ses demandes parvenir à éloigner
Arlequin un seul moment, luy témoigne
son dépit par cet ériteau, sur l'air,
Diray-je mon Confiteor, etc.
LE CAPITAN.
Serons-nous toûjours sous tes yeux
Le sot Argus ! il est ma bête.
Crois-tu que l'on vienne en ces lieux
Pour ménager un tête à tête ?
Il n'est plus rien grace aux époux
De plus aisé qu'un rendés-vous.
ARLEQUIN.
Je sçay le trantran de Paris
Et rien n'en vient que je ne guette,
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Pour mettre l'honneur des maris
En seureté dans ma Guinguette,
S'ils avoient tous de tels Argus
On verroit bien moins de Cocus.
Le Capitan & sa maitresse se retirent
& Arlequin se moque d'eux, le Docteur
vient attendre Colombine à la guinguette
ou elle luy a donné rendés-vous, ne sçachant
pas qu'Arlequin en est l'hôte. Il
demande une Chambre à Arlequin pour
un de ses amis & pour luy, le premier
vers de ce couplet suppose qu'il n'a pas
encore apperceu Arlequin, & sert à preparer
les spectateurs à la Scene qui va se
passer entre Colombine & luy. Il est sur
l'air, J'entens déja le bruit des Armes.
LE DOCTEUR.
Ma Maitresse se fait attendre......
Mais l'hôte vieux je l'apperçoy :
Un amy doit icy se rendre
Il n'a pû partir qu'apres moy ;
Si la nuit vient à nous surprendre
Trouveront nous un lit chés toy ?
ARLEQUIN, répond sur l'air,
De mon pot je vous en répons.
Une Chambre à deux amis
Cela vous est promis,
Mais si c'est un amy femelle
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Allés au Moulin de Javelle,
Pour l'amy je vous en réponds
Pour la femelle, non.
Le Docteur montre une bourse à Arlequin,
qui apres avoir resisté quelque
temps, commence à se laisser seduire, ce
qui l'oblige à fuir.
A peine Arlequin est il sorty, que Colombine
vient, le Docteur s'avance au
devant d'elle & luy fait entendre qu'ils
pourront bien avoir une Chambre pour
être en liberté ; dans le temps qu'ils se témoignent
la satisfaction mutuelle qu'ils
ont de se trouver ensemble ; Arlequin regarde
par la fenêtre & ne reconnoissant
pas Colombine, il se fait un plaisir de les
surprendre ; il vient en Tapinois par derriere,
& dans le temps que le Docteur
parle tout bas à Colombine, il met sa tête
entre leurs visages, d'abord il regarde le
Docteur & rit de l'avoir pris en flagrant
délit, aprés il regarde Colombine, & venant
à se reconnoître l'un l'autre, ils font
un grand cry, Colombine s'enfuit, le Docteur
court aprés elle, Arlequin entre en
fureur renverse la Guinguette s'en dessus
dessous, il entre dedans & y ayant fait un
tapage enragé, il revient avec un bondon
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à la main pour faire voir qu'il a défoncé
les tonneaux & répandu tout son vin.
Apres cette belle expédition il se souvient
qu'il a prié Scaramouche & Pierrot
ses bons amis à souper, & qu'il n'a
plus rien pour leur donner. Il s'arrache
les cheveux & se jette par terre sur les
débris de sa Guinguette. Le Lutin vient
le consoler, par cet écriteau sur l'air,
Console toy d'avoir sur ton Turban.
LE LUTIN.
Console-toy, malheureux Arlequin,
De porter sur ton front les Armes de Vulcain :
Ta disgrace n'est que trop sure,
Mais j'en voy
Qui trouvant pareille avanture,
Ne font pas tant de bruit que toy.
Arlequin fait entendre au Lutin le véritable
sujet de sa douleur, par cet écriteau
sur l'air, Des Folies d'Espagne.
J'avois prié Pierrot & Scaramouche
Mais pour souper en vain je les attens,
Ils n'auront pas dequoy rincer leur bouche,
Ils n'auront rien à mettre sous les dents.
Le Lutin fait entendre à Arlequin que
la Fée pourvoira à tout, & l'enléve dans
les airs.
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TROISIE'ME ENTREE'.
Le Theatre represente un Bois, il y a
un grand Arbre au milieu & un
Puis à costé.
Arlequin attend avec impatience Scaramouche
& Pierrot que le Lutin luy a
promis de luy amener dans ce bois. Il
marque son incertitude par cet écriteau
sur l'air, De Biribi.
ARLEQUIN.
Je croque en ces lieux le marmot,
Et je suis las d'attendre ;
Avec Scaramouche & Pierrot,
Mon Lutin doit s'y rendre ;
Mais il m'a l'air d'un franc Frippon,
La faridondene la faridondon,
Er mes amis viendrons icy
Biribi,
A la façon de Barbary,
Mon amy.
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Pour quelque chose de certain
J'ay pris un fichu conte,
Sur la promesse d'un Lutin
Se peut-il que je compte,
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Je suis plus sot qu'il n'est fripon.
La faridondene la faridondon,
Et nous ferons ripaille icy
Biribi,
A la façon de Barbary
Mon amy.
Arlequin découvre la Fée endormie
dans une Grotte magique, ayant un Ogre
& une Ogresse à ses costés, il court vers
la Fée tout transporté de joye, mais les
Ogres l'arrêtent & le menacent de le dévorer
s'il aproche, il se met à genoux devant
la Fée & chante ce qui suit sur l'air,
Nanette dormez vous.
ARLEQUIN.
Ma Fée éveillée vous |
Faut-il que le someil | Bis
Ferme des yeux si doux. |
Ah! que vostre reveil
Va faire de Jaloux.
La Fée s'éveille & répond sur l'air,
Ma mere mariés moy etc.
Je ne dors jamais pour toy
Et tu peux compter sur moy,
Je tiens ce que j'ay promis.
Tu feras ripaille avec tes amis,
Je tiens ce que j'ay promis,
A mes loix tout est soumis.
26
La Fée se léve & vient embrasser Arlequin.
Aprés ces carresses elle luy fait entendre
qu'elle est apellée ailleurs, & qu'elle
va le laisser entre les mains de l'Ogresse
qui en prendra soin, le couplet
qu'elle chante est sur l'air, De Grimaudin.
LA FE'E.
Je te promets mon assitance
Dans le besoin,
Ogres soumis à ma puissance,
Prenés en soin,
Et sur tout qu'on ne manque pas
De luy donner un bon repas.
La Fée s'en va avec l'Ogre & laisse l'Ogresse
auprés d'Arlequin, elle l'habille en
Chasseur ; on entend un bruit de cors &
on voit venir une Troupe de Chasseurs
qui poursuivent un Ours d'une grosseur
demesurée, Arlequin jette ses armes par
terre & grimpe sur l'Arbre qui est au milieu
du Theatre, deux Chasseurs le tirent
par les pieds pour l'obliger à en décendre ;
mais ils ne peuvent l'en arracher. Ils le
laissent enfin pour courir aprés l'Ours.
Arlequin le voyant disparoître descend
de l'Arbre & reprend ses Armes, mais
le voyant revenir il regagne son azile,
l'Ours se trouvant seul avec Arlequin
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se dresse sur les pattes de derriere & allonge
les pattes de devant jusque aux
talons du pauvre Arlequin ; qui se croit
mort. Heureusement pour luy les Chasseurs
reviennent & tuënt l'Ours. Arlequin
le voyant mort reprend courage
& descendant de l'Arbre il luy donne
plusieurs coups & fait entendre aux
Chasseurs qu'ils n'en seroient jamais venus
à bout sans son secours. Les Chasseurs
& les Chasseuses dansent pour se réjouir
de leur victoire. Apres leurs danses
ils éventrent l'Ours & en tirent des
bouteilles de Vin & des plats de rost,
qu'ils laissent à Arlequin, il temoigne sa
joye & voulant voir s'il n'y a plus rien
dans le ventre qui luy paroit encore fort
gros, il acheve de le fendre & en voit
sortir Scaramouche. Il l'embrasse tendrement
& luy demande des nouvelles
de Pierrot, par cet écriteau sur l'air,
des folies d'Espagne.
ARLEQUIN.
Nous boirons bien ô mon cher Scaramouche
Mais il nous manque un tiers à nostre écot :
Ah ! ces soupirs qui sortent de ta bouche
Me font trop voir que c'est fait de Pierrot !
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SCARAMOUCHE.
Pleurons, pleurons nostre cher camarade
Mais faisons mieux, beuvons à sa santé :
En ce moment luy même il boit rasade,
Dans ce grand Puits le Lutin la jetté.
Dans le temps qu'ils pleurent tous
deux leur cher camarade, ils entendent
sa voix, ils s'approchent du Puits &
voyant que Pierrot continuë à crier, ils
s'invitent l'un l'autre à l'aller repescher.
Aucun deux n'y voulant aller, ils tirent
à la courte paille à qui descendra dans
le Puits, le sort tombe sur Arlequin qui
en enrage ; il y descend enfin à l'aide de
Scaramouche & il en retire Pierrot, ils
s'embrassent tous trois. Pierrot leur fait
entendre qu'il a assez bû pour manger
& qu'il meurt de faim. Le Theatre change
& represente un Salon, on voit sortir une
table du fond du plancher. Je ne descris
point cette table magique, l'expression
seroit infiniment au dessous du spectacle.
l'Ogresse qui fait tous les enchantemens
qu'on y voit n'oublie rien pour s'acquiter
dignement de l'employ dont la Fée la
chargée, mais sans renoncer au droit de
faire des malices à ses hôtes. Le repas étant
29
finy, la Fée vient & amene Colombine
à Arlequin pour les reconcilier. Colombine
se jette aux pieds d'Arlequin &
luy temoigne son repentir par un couplet
de Chanson sur l'air, Ton joly belle
Meusniere.
COLOMBINE.
Rends moy toute ta tendresse
Mon chere Arlequin ;
Si je fus un peu traitresse
Prends t'en au destin :
Icy bas chaque Lucresse
Trouve son Tarquin.
ARLEQUIN.
La Fée est icy maitresse
Et je suis sa Loy ;
Avec toute ma tendresse
Je te rends ma foy ;
Tel se rit de ma foiblesse
Qui fait pis que moy.
Colombine & Arlequin s'embrassent
par le commandement de la Fée qui estant
trés satisfaite d'Arlequin, le continuë
dans son employ de Censeur & l'invite
à faire toujours de mieux en mieux, par
ce couplet sur l'air,Au guay l'on la.
LA FE'E.
Ne cesse point d'écrire
30
Sur nouveaux frais.
Heureux sous mon Empire
N'en sors jamais.
A ma voix tout obeira,
Tout se changera
Comme à l'Opera :
Au guay l'on la lan lire
Au guay l'on la.
ARLEQUIN.
Pretez à ma Satyre
De l'agrément ;
Songeons à faire rire,
Car autrement
A nos jeux aucun ne viendra,
Chacun nous fuira,
Tout desertera.
Et le moyen de dire
Au guay l'on la.
Le divertissement finit par les sauts
ou le fameux Anglois, fait voir ce qu'il
y a de plus surprenant dans son Art.
APPROBATION.
J'ay lû par ordre de Monsieur le
Lieutenant general de Police un Ma-
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nuscrit
qui a pour titre, Arlequin à la
Guinguette, dont on peut permettre
l'impression. A Paris ce dix-sept Juillet
mil sept cent onze. Signé, PASSART.
PERMISSION.
Veu l'Aprobation du Sieur Passart,
Permis d'imprimer. Ce dix-sept
Juillet 1711. Signé, MARC RENE
DE VOYER DARGENSON.
Registrée sur le Livre de la Communauté
des Librairies & Imprimeurs de
Paris, No. 207. conformément aux Réglemens ;
nottamment à l'Arrest de la
Cour du Parlement, du 3 Decemble 1705.
Ce vingt-sept Juillet mil sent cent onze
Signé, P. DE LAUNAY, Syndic.
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